William George Barker

Peu de Canadiens savent qu’il fut et demeure le héros de guerre le plus décoré du pays.


BARKER, WILLIAM GEORGE, soldat, officier d’aviation et homme d’affaires, né le 3 novembre 1894 à Dauphin, Manitoba, fils de George William John Barker, fermier, et de Jane Victoria Alguire ; le 1er juin 1921, il épousa Jean Kilbourn Smith, et ils eurent une fille ; décédé le 12 mars 1930 à Rockcliffe (Ottawa) et inhumé au Mount Pleasant Mausoleum, Toronto.

Aîné de neuf enfants survivants, William George Barker naquit dans une maison de rondins à la ferme familiale. Il fréquenta des écoles situées à Dauphin et à Russell ou près de ces localités du Manitoba. Sa sœur Edna se rappelle qu’il était un garçon pondéré et sûr de lui, avec une personnalité bien marquée. Adolescent, il manifestait déjà toutes les qualités qui en feraient un pilote militaire hors du commun : bonne coordination neuromusculaire, goût du risque, capacité d’analyse, indépendance d’esprit. Pourvu d’une vision exceptionnelle, il était bon tireur et bon cavalier. En 1913, il servit dans une unité de la milice, le 32nd (Manitoba) Horse. Au début de la Première Guerre mondiale, il faisait sa dernière année d’études secondaires au Dauphin Collegiate. Décidé à faire partie du Corps expéditionnaire canadien, il s’enrôla comme cavalier dans le 1st Canadian Mounted Rifles Regiment le 1er décembre 1914. Il suivit un entraînement de mitrailleur et arriva au Royaume-Uni en juin 1915. Vers le 26 septembre, son régiment pénétra dans le saillant d’Ypres (Ieper), en Belgique, où Barker servit jusqu’à la fin de février 1916.

Fatigué de la vie des tranchées, Barker se porta volontaire pour devenir mitrailleur dans le Royal Flying Corps et suivit quatre semaines d’instruction en campagne au sein de la 9 Squadron. Nommé temporairement lieutenant en second le 2 avril 1916 puis affecté à la 4 Squadron en tant qu’observateur, il exécuta des missions de coopération avec l’artillerie et fit de la reconnaissance photographique et visuelle pour les troupes au sol. En juillet, il fut muté à la 15 Squadron. Quatre mois plus tard, lui-même et son pilote reçurent la Croix militaire pour la qualité supérieure du soutien qu’ils avaient apporté au cours d’une attaque contre Beaumont-Hamel (Beaumont), en France. En décembre, il se rendit en Angleterre pour un entraînement de pilote.

Au bout de quatre semaines, Barker avait terminé tout le programme d’instruction en vol et au sol. Nommé officier d’aviation le 14 février 1917, il réintégra la 15 Squadron. Dès la fin de mai, il avait le grade de capitaine et commandait la C Flight ; en outre, une agrafe s’était ajoutée à sa Croix militaire. Blessé par un tir d’artillerie en août, il fut envoyé en Angleterre pour s’y reposer en exerçant la fonction d’instructeur.

Enseigner à des novices n’emballait pas Barker. Il désobéissait souvent aux règlements et, au moins une fois, il fit une démonstration d’acrobatie aérienne à basse altitude au-dessus de Piccadilly Circus, à Londres. Muté à la 28 Squadron le 29 septembre, il s’envola pour la France le 10 octobre. Dès la fin du mois, il avait enregistré au moins 35 heures de combat aux commandes de son Sopwith Camel, le B6313, et avait trois appareils ennemis à son tableau de chasse.

À la fin d’octobre 1917, plusieurs unités, dont l’escadrille de Barker, furent mutées dans le nord de l’Italie. Le jour de Noël, au cours d’une attaque à basse altitude lancée de manière impromptue contre un aérodrome allemand, probablement à San Fior, Barker et le lieutenant Harold Byrne Hudson mirent le feu à un hangar et endommagèrent quatre avions. En janvier 1918, le commandant de la 14 Wing les réprimanda tous deux pour avoir attaqué à plusieurs reprises sans autorisation – mais avec succès – des ballons cerfs-volants ennemis. Grâce à ces patrouilles, ou peut-être malgré elles, Barker reçut l’ordre du Service distingué. La citation disait que « son sang-froid remarquable et son impressionnant leadership [avait] été un exemple d’une valeur inestimable pour son escadrille ». En mars, il put ajouter une deuxième agrafe à sa Croix militaire, « pour bravoure et dévouement insignes ».

À son entrée à la 66 Squadron, le 10 avril 1918, Barker avait 22 victoires à son palmarès. À titre de commandant de la C Flight de cette escadrille, il en ajouterait 16 à ce nombre. En mai 1918, la France lui décerna la croix de Guerre. Il fut promu temporairement major en juillet et placé à la tête de la 139 Squadron, qui était équipée de biplaces Bristol Fighter. Insatisfait de ce modèle, il fut autorisé à garder son B6313 et remporta 8 autres victoires, ce qui porta son total à 46, record unique pour un pilote aux commandes du même appareil. Des historiens britanniques diraient du B6313 qu’il était « l’avion de chasse qui avait accumulé le plus de victoires » dans l’histoire de la Royal Air Force.

Dans la nuit du 9 au 10 août 1918, Barker et le capitaine William Wedgwood Benn parachutèrent un agent de l’armée italienne derrière les lignes ennemies. Pour ce vol, Barker reçut la médaille d’argent pour Valeur militaire, une des plus hautes distinctions en ce domaine en Italie. Dans le même mois, il ajouta une agrafe à sa décoration de l’ordre du Service distingué. Fait remarquable, en un peu plus de 12 mois de patrouilles, soit du 9 ou du 10 octobre 1917 au 27 octobre 1918, aucun des hommes qui lui avaient été adjoints en tant qu’observateurs n’avait été tué au combat et aucun des appareils qu’il escortait n’avait été abattu.

Barker devait assumer un nouveau commandement à la fin d’octobre, mais avant, il fut autorisé à se rendre n’importe où en France pour une mission de dix jours où il aurait toute liberté de manœuvre. Il choisit un Sopwith Snipe, le E8102, et se joignit à la 201 Squadron. Le 27 octobre, il attaqua un biplace allemand à environ 22 000 pieds d’altitude et le descendit. Une quinzaine de Fokker D-VII le prirent en chasse. Bien qu’il ait été blessé trois fois, il abattit trois autres avions ennemis. Il perdait beaucoup de sang et était à peine conscient, mais il réussit à atterrir en catastrophe et fut évacué dans un hôpital de campagne. Décoré de la croix de Victoria le 30 novembre 1918, il avait alors 50 victoires à son palmarès. Par la suite, l’Italie lui décerna une deuxième médaille d’argent. Pendant qu’il était entre la vie et la mort dans un hôpital français, le Canadian Daily Record de Londres déclara qu’il détenait « le record parmi les Canadiens pour les décorations de combat remportées pendant la guerre ».

Jusqu’à la fin de ses jours, Barker souffrirait énormément, au physique et au moral, à cause de ses blessures. Ses jambes étaient abîmées ; avec son coude gauche détruit, il était pour ainsi dire un pilote manchot. Au cours de sa convalescence à Londres, il rencontra William Avery Bishop*, lui aussi décoré de la croix de Victoria. Une fois les hostilités terminées et après que Barker eut reçu son congé de l’hôpital en avril 1919, les deux hommes fondèrent la Bishop-Barker Company Limited en Ontario. En novembre 1919, ils créèrent une entreprise de nolisement, d’entretien et de vente d’avions, la Bishop-Barker Aeroplanes Limited, dont le siège social était à Toronto. À la même époque, ils mirent sur pied à New York une société américaine d’importation, l’Interallied Aircraft Corporation.

Barker se lança dans l’aviation civile avec la fougue dont il avait fait preuve au combat. Du 23 août au 6 septembre 1919, il dirigea une équipe de démonstration aérienne à l’Exposition nationale canadienne de Toronto. C’était la première fois au Canada que l’on présentait du vol en formation devant des spectateurs civils. En participant, du 25 au 27 août, à une course aérienne aller-retour entre Toronto et New York, il devint le premier pilote canadien à transporter du courrier international. En janvier 1921, il pilota le premier cargo commercial entre les États-Unis et le Canada, de New York à Toronto via Montréal.

La Bishop-Barker Aeroplanes Limited fut un échec commercial, à l’instar de beaucoup d’autres compagnies d’aviation de cette période. Elle mit fin à ses opérations de vol en 1922. Le 3 juin, Barker reçut une commission de commandant d’escadre dans l’aviation canadienne, créée deux ans auparavant [V. sir Willoughby Garnons Gwatkin]. Sa première affectation permanente le mena à l’aérodrome du camp Borden, dont il fut l’officier commandant du 1er novembre 1922 au 15 janvier 1924. On s’y souviendrait de ses idées très novatrices et de ses expériences en matière d’armement aérien. Muté ensuite à Ottawa, il assuma à titre intérimaire à la mi-février la plus haute fonction de l’aviation canadienne, celle de directeur. Il occupait ce poste le 1er avril 1924, jour du démantèlement de l’aviation canadienne et de la naissance officielle de l’Aviation royale du Canada [V. sir James Howden MacBrien*]. Le mois suivant, il fut affecté en Angleterre à titre de représentant de l’Aviation royale du Canada auprès du ministère britannique de l’Air. En tant qu’officier de liaison, il assista aux opérations de la Royal Air Force en Irak au printemps de 1925. En mai, il entreprit des études avancées au Royal Air Force Staff College d’Andover ; il les termina en mars 1926.

Barker rentra au Canada en sachant qu’il devrait servir sous les ordres d’un officier qui ne lui inspirait aucun respect, le capitaine de groupe James Stanley Scott, directeur de l’Aviation royale du Canada. Réfractaire à tout compromis, il démissionna en août 1926. Sa réadaptation à la vie civile, comme celle de tout vétéran blessé, avait été pénible. Apprendre à porter le fardeau que représentait son statut de héros couvert de médailles l’avait été plus encore. En outre, dans les dernières années de sa vie, il souffrait d’alcoolisme et peut-être de stress post-traumatique.

En 1927, à l’instigation du directeur sportif des Maple Leafs de Toronto, Constantine Falkland Cary (Conn) Smythe*, ancien pilote de la Royal Air Force, Barker devint le premier président de l’équipe de hockey. Cette nomination symbolique, espérait-on, contribuerait à faire oublier les défaites du club. Smythe, toujours sobre, ne comprenait rien aux problèmes émotifs de Barker et n’avait aucune compassion pour les buveurs – situation qui les mit tous deux dans l’embarras en public. Barker fut aussi nommé directeur général d’une compagnie ontarienne de culture du tabac dont le propriétaire était le père de sa femme, Horace Bruce Smith. Cependant, Barker ne fumait pas, et l’agriculture lui répugnait. Cette sinécure offerte par un beau-père qui ne le portait pas dans son cœur n’avait rien de gratifiant ; elle était peut-être même humiliante.

En janvier 1930, Barker obtint enfin un poste qui correspondait à ses talents naturels et à son expérience : la vice-présidence et la direction générale de la Fairchild Aircraft Limited of Canada, à Montréal. En faisant la démonstration d’un nouvel avion-école biplan, le Fairchild KR-21, à l’aérodrome de l’Aviation royale du Canada à Rockcliffe, il perdit la maîtrise de l’appareil au sommet d’une montée abrupte. L’avion s’écrasa sur les glaces de la rivière des Outaouais, et Barker fut tué sur le coup. Le 15 mars à Toronto, on lui fit des funérailles nationales avec une garde d’honneur de 2 000 hommes. Des personnalités politiques et militaires y assistèrent, de même que six récipiendaires de la croix de Victoria.

Le 6 juin 1931, un aéroport torontois fut rebaptisé Barker Field en l’honneur de William George Barker. À cette occasion, et en d’autres, Bishop fit l’éloge de son ami en disant qu’il était « le plus redoutable combattant aérien qui [eut] jamais vécu ». Très différente est l’opinion rapportée par l’écrivain Ernest Hemingway dans une nouvelle parue en 1936, les Neiges du Kilimandjaro ; il le dépeignait comme une « espèce d’ignoble salaud d’assassin ». Par tempérament, Barker s’inscrivait dans la tradition du héros plus grand que nature. Mû avant tout par le désir d’exceller, il ne pouvait se contenter d’être un personnage décoratif. À cause de sa mort précoce, on en viendrait à négliger bon nombre de ses exploits et réalisations de guerre et d’après-guerre, et Bishop, qui vivrait jusqu’en 1956, lui ferait de l’ombre. Barker fit partie des modèles mis en évidence par l’Aviation royale du Canada pour recruter une nouvelle génération de pilotes pendant la Seconde Guerre mondiale, mais ensuite, sa légende, bien connue en Grande-Bretagne et aux États-Unis, s’estompa au Canada. Peu de Canadiens savent qu’il fut et demeure le héros de guerre le plus décoré du pays.

—Texte par Wayne Ralph, “« BARKER, WILLIAM GEORGE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 19 févr. 2015. Pour cette bibliographie et d'autres, visiter le Dictionnaire biographique du Canada.