par Joe Stafford
Le premier jour de cours pour un enseignant est une expérience pour le moins intimidante.
Je me souviens de mon premier jour d’enseignement. J’étais impatient de déverser tout mon savoir sur mes trente cinq élèves d’histoire de 10e année. Je voulais leur faire partager ma passion pour cette matière.
Mais je me suis rapidement rendu compte qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. La matière à elle seule ne suffit pas à « allumer » les élèves. Il me fallait en faire plus. Je savais qu’il ne suffirait pas de demander aux élèves de lire le bouquin et les questions à la fin du chapitre. De toute façon, cette stratégie ne me disait rien.
Selon moi, les jeux de rôle et la reconstitution sont deux merveilleuses façons de redonner vie à l’histoire. Mais le problème, c’est que je ne savais pas par où commencer. Je craignais de quitter ma zone de confort, et je me suis dit, l’espace d’un moment, qu’il valait peut-être mieux laisser tomber cette aventure.
Heureusement, un collègue plus expérimenté, informé de mes hésitations, me lança le défi de prendre une chance. « Pense petit, me dit-il, commence par une petite activité et voit ensuite comment ça se passe. Même si le projet est un flop, les élèves apprécieront les efforts que tu as déployés pour capter leur intérêt ». J’ai donc décidé de faire le saut, et j’ai organisé une reconstitution du Jubilé de diamant de la Confédération du Canada, en 1927. Vous auriez dû voir mes élèves lorsque je leur ai dit qu’ils devraient porter des robes à crinoline et des chapeaux hauts de forme!
Je retenais mon souffle. Je ne savais pas à quoi m’attendre. Prendraient-ils mon idée à la blague ou me jetteraient-ils un regard désabusé, ou même gêné?
Et mes élèves se sont mis à rire, non pas pour se moquer, mais plutôt parce qu’ils s’amusaient follement. Ils enfilèrent leur costume, faisant du coup disparaître la rigueur de la salle de classe. Un de mes élèves a décrit l’expérience comme « une promenade dans le passé... Les leçons et le tableau montrent soudainement leur « p’tit côté givré »... et tout le monde participe. »
Mon mentor avait raison. Mes élèves n’attendaient que cette occasion de sauter à pieds joints dans le passé du Canada. Ils apprenaient, tout en s’amusant.
Les élèves ont non seulement apprécié mes efforts, mais ils m’étaient reconnaissants de leur avoir fait suffisamment confiance pour plonger dans l’aventure. Et en vingt ans d’enseignement, je n’ai jamais eu de problème de comportement en classe, une grande crainte pour la plupart des enseignants.
Parfois, on croit qu’il est plus facile d’éviter les risques, de suivre les sentiers battus.
Mais la vraie récompense revient aux enseignants qui n’ont pas peur de relever les défis.
Et des défis, il y en a. Trop souvent, l’histoire du Canada est reléguée aux oubliettes. Au fil des ans, certains cours gagnent en popularité ou sont perçus par les parents comme facilitant l’accès à l’université. Si le département d’histoire ne fait pas une promotion active des cours d’histoire, l’intérêt diminue et les enseignants se voient obligés de bifurquer vers d’autres matières.
Pour renverser cette tendance, les enseignants doivent raconter les nombreuses histoires passionnantes et mystérieuses du passé du Canada. Nous devons également établir un lien entre le présent et le passé, et expliquer comment ces deux dimensions contribuent à façonner notre avenir.
Nous devons aider nos élèves à comprendre que les personnagesde l’histoire du Canada ont déjà été bien vivants, tout comme eux, avec leurs joies, leurs peines et leurs espoirs.
Le manuel décrit, par exemple, que « Baldwin et Lafontaine ont instauré toute une série de réformes avant de quitter la scène poli- tique, en 1851 ».
Mais ce qu’il ne dit pas, c’est qu’après la mort de sa femme, Baldwin s’est retrouvé dans un état d’accablement tel qu’il ne pouvait plus rien faire, et ce, pendant des\ semaines. Il a également demandé que son cercueil soit attaché à celui de sa femme à l’aide d’une chaîne et que l’on pratique sur son corps la même incision que celle qui a tué sa femme, lors d’une césarienne qui a mal tourné. On ne peut qu’imaginer la profondeur de ses tourments. Qui pourrait trouver de tels détails ennuyeux?
Et ne vous limitez pas uniquement à la salle de classe.
À mon école, nous avons formé un club d’histoire il y a plusieurs années pour aider les élèves à élaborer leurs reconstitutions historiques.Nous avons également créé un club dont le mandat est d’accroître la visibilité du département d’histoire au sein de l’école. La Renaissance Society tient chaque année des conférences destinées aux élèves sur différents sujets de l’histoire canadienne, mais portant toujours sur le même thème : le passé, le présent et l’avenir.
Nous avons réussi à établir une solide relation de travail avec la société d’histoire locale et nous invitons régulièrement ses membres à notre école pour assister aux conférences. Les élèves sont également invités au banquet annuel de la société. Ils s’impliquent au sein de la communauté, comme en témoigne l’élection d’un de mes élèves au comité de préservation du patrimoine municipal.
Aujourd’hui, ceux qui visitent ma classe ont l’impression de faire un retour dans le passé. Ouvrez la porte de la classe et vous y verrez peut-être la reconstitution d’un p’tit resto de quartier des années 1950, avec des figurants en costume d’époque, ou un rallye politique où des hippies, le poing levé, dénoncent la guerre du Vietnam!
Mais vous n’y trouverez aucun élève à bayer aux corneilles, ni aucun enseignant parlant d’une voix monocorde et demandant à ses élèves de lire leur manuel et les questions à la fin du chapitre....
J’ai eu la chance de profiter de bons conseils, et je n’ai pas eu peur de prendre des risques.
Suivez mon exemple, et je vous garantis que vous ne le regretterez jamais.
Joe Stafford est un récipiendaire du Prix du Gouverneur général pour l’excellence en enseignement de l’histoire canadienne. Il enseigne à l’école secondaire catholique St. Theresa, à Belleville, en Ontario.
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